La passivité devant
les défis constitue incontestablement la plus grande démonstration de crise que
peut connaître un pays. Peuple soumis sans traditions de liberté et de
démocratie, les Tunisiens agissent souvent par réaction aux événements.
La politique n'a pas
toujours dépassé le stade des revendications attentistes, portée à la critique à
l'excès, c'est toujours ce que le pouvoir a fait ou n'a pas fait qui est avancé
pour justifier tous les inconvénients et les déboires qu'on rencontrait.
L'initiative est
laissée toujours à l'autorité, on ne s'est jamais doté des moyens de réaliser
nos revendications. Cette stagnation dans la marginalité de l'action et de la
politique n'a que trop duré. Si on cherche la démocratie il ne suffit plus de la
souhaiter, on doit nous doter des moyens de la réaliser.
Cette situation nous
a conduit à une dualité d'esprit qui n'imagine le changement que par
l'insurrection ou les concessions des gouvernants. C'est un esprit qui exclu de
facto la politique dans la construction de la pluralité et de la démocratie.
La politique comme un
projet autonome de construction collective, de conception d'avenir pour la
société est délaissée au profit d'un schéma d'options que tout le monde
revendique sans qu'ils soient capables de s'entendre sur les moyens de les
réaliser.
La dispersion de
l'opposition n'a pas à être démontrée, au lieu d'être un moyen d'intégration, de
mobilisation et de rassemblement, la politique est en train de sombrer dans les
dissensions, les querelles de clans, les litiges et les divergences d'options
sans véritables fondements.
Cette situation
identifie de plus en plus le débat autour de personnalités, au lieu d'avancer et
d'approfondir les idées. Cela ne fait que rétrécir d'avantage son champ et
détourner le public désabusé d'une situation qui n'augure d'aucun lendemain.
L'excès est une autre
fatalité qui a infesté le débat politique dans notre société. Droit de l’hommistes
ou syndicalistes dans leur totalité, s'ils n'étaient pas formés à l'école à
laquelle ils prétendent s'opposer, nos politiques trouvent du mal à se
débarrasser d'un discours non approprié et risquent de se cantonner dans des
positions groupusculaires de révoltés.
Simplifier la
situation dans une simple opération de changement que certains réduisent en la
personne du président, ne me parait pas conforme aux règles de l'évolution ni à
celle du bon sens, sauf si l'objectif recherché se réduit à l'exercice du
pouvoir avec la même nomenclature et sur la voie des mêmes traditions de
bureaucratie et de clans.
Nous sommes condamnés
à évoluer de cette conception de politique de tranchées. Le sens du débat dont
la politique constitue aujourd'hui l'essence même dans son contenu et ses
objectifs doit évoluer vers une ouverture qui laisse des voies de croisement
avec toutes les composantes du pouvoir et de l'opposition.
Seule cette
interpénétration peut donner à la politique son objet. Il n'est pas du ressort
de la politique d'énoncer des vérités que personne ne trouvera les moyens de
réaliser.
La politique en tant
qu'œuvre de mobilisation et d'intégration par excellence, doit parvenir à
trouver son discours mobilisateur et formateur si elle veut se réaliser. Ce
n'est plus par enchérissement qu'on peut avancer, mais par la pression à force
de mobilisation et d'arguments.
La mission de
l'opposition ne se réduit pas seulement à déloger le gouvernement pour le
remplacer, mais à porter le débat d'actualité à un niveau de pression vers ses
revendications de façon à bouleverser les forces sociales dont le pouvoir tire
ses soutiens et l'amener à se soumettre à sa volonté. C'est par cette constante
activité de pression que se réalise la bonne gouvernance qui est l'objectif
ultime de la société.
Nous nous trouvons
aujourd'hui devant une situation répétée comme si depuis 1987 rien n'avait
changé. Le pouvoir est monopolisé en exclusivité par une seule personne, à
l'ombre de qui, sont en train de se produire tous les débordements et les excès.
Cette situation est ingouvernable et ne pourra jamais durer.
C'est de ces deux
constats que j'ai appelés à un front de salut.
Notre pays risque de
s'installer au banc de la dynamique de l'évolution que connaît le monde
aujourd'hui, si le problème sclérosé de l'arbitraire que constitue l'exercice du
pouvoir depuis 50 ans par un seul parti, qui s'identifie à l'état et investi
toutes ses institutions et s'obstine à l'exclusion et à la pratique des complots
et des manipulations, pour déstabiliser toute tentative d'autonomie ou de
transparence en leur sein.
S'il y a quelqu'un de
plus concerné et qui à plus intérêt au changement maintenant, c'est bien le RCD
avant de se trouver définitivement acculé au banc de l'accusé devant la société.
Pour l'histoire c'est déjà fait.
Ne serait-il pas un
faux départ de dire que La Tunisie est autant une fausse République qu’une
fausse Démocratie.
C'est dans le cadre
de cette république chèrement conquise à force de sacrifices de nos martyrs et
des mémorables moments de soulèvement de notre histoire. Elle n'a plus à être
proclamée. Le pouvoir peut être confisqué mais la république JAMAIS.
C'est commencer par
concéder son principal rempart. Si la république n'existe plus ne doit-on pas se
soulever et appeler à la lutte armée. Je pense qu'on doit donner plus
d'attention à la qualification des situations. Contester l'arbitraire ne doit
pas dépasser la dénonciation du pouvoir totalitaire.
Que signifie une
monarchie roturière ? A-t-on intérêt à avancer le fait sur la réalité ?
Ne perdons nous pas
là le sens de notre action et sa légitimité au sein même des institutions. C'est
au sein d'une république que s'institue ce mouvement.
Aucun mouvement n'a à
s'octroyer aucune exclusivité dans sa réalisation. Je crois qu'on doit éviter de
pécher par excès de prétention. Seule la lucidité de la situation peut assoire
une véritable modération.
Je ne parle pas d'une
modération de compromis sur les principes, mais une modération dans la
conception de l'action pour parvenir à déclencher les véritables mécanismes
d'intégration, capables d'apporter la plus grande mobilisation susceptible
d'inverser définitivement la situation.
Je pense aussi qu'il
est temps de dépasser les notions de libérateur, homme ou parti, et qu'on doit
concevoir la politique en dehors de notre propre ego, car en faisant ainsi on ne
fait que prouver qu'on est atteint du mal qu'on s'emploie à dénoncer.
Notre mission se
limite à amener nos concitoyens à avoir conscience de leur liberté et de leur
devoir, de l'exercer pour ne plus être mis sous tutelle et guidé comme du bétail
dépossédé de toute volonté. C'est cette volonté qui nous anime et qu'on doit
transmettre à nos citoyens pour agir sur leur situation et changer toutes les
données au profit de la majorité.
Une conception de
politique de confrontation et de conflit n'est pas la meilleure façon de
promouvoir la démocratie. Nous savons et l'histoire nous a enseignée que toute
opposition de confrontation a besoin d'une idéologie, la liberté a souvent servi
de rame de lancement à de tels projets mais la démocratie n'a jamais été
appropriée pour un dessein de confrontation, car elle à plus besoin de
concurrence dans la transparence pour sa survie que de dominer tous les autres
partis.
Elle ne peut pas
prendre comme point de départ d'éliminer son adversaire, même s'il est l'essence
même de l'arbitraire. La démocratie est une méthode de gouvernement et non un
moyen de conquérir le pouvoir, seul le scrutin populaire souverain peut décider
du dépositaire du pouvoir, il est la seule autorité pour accéder à gouverner.
Le salut national que
tout Tunisien est appelé aujourd'hui à promouvoir n'est pas exclusif à
l'opposition. Je le conçois comme un devoir national devant la gravité des défis
que présente la situation.
Il doit s'inscrire
dans l'institution concrète de l'état de droit et des institutions et procéder
d'un débat qui implique l'opposition réelle dans une perspective d'avantager
l'expression de la souveraineté populaire et la transparence de toute
consultation électorale.
En attendant : des décisions
urgentes qui mettent fin aux conséquences humaines de la répression politique et
aux persécutions seront la meilleure indication dans ce sens de responsabilité
et de rapprochement.
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